Chemin de croix

Ce n’était pas le clou, non. Ce qui avait achevé de vaincre la patience du sergent, c’était l’odeur. 

Le vieux curé empestait à dix pieds à la ronde. Pas moyen de l’éviter. Où qu’il se place, le pauvre Huis, l’écœurant parfum qui se dégageait du bonhomme Marsolet lui écorchait les narines.

Elle avait amplement d’espace pour se répandre, pourtant : comment une odeur pouvait-elle s’incruster autant ? C’était comme si les replis de la soutane du curé cachaient un cadavre. 

— Le troisième, bien sûr, répéta Huis pour la forme. Il vous manque le troisième tableau. J’ai tout noté, monsieur Marsolet. Je vous fais signe aussitôt que j’ai du nouveau. 

— Jésus condamné par le Sanhédrin! Vous l’avez écrit, ça ?

— Pardon ?

— Le titre du tableau ! C’est un chemin de croix, pour l’amour ! Il nous en reste treize, mais habituellement un chemin de croix est constitué de quatorze tableaux ! Comment allez-vous le retrouver si vous ignorez le titre exact de celui qui nous manque ? Vous croyez que les voleurs vont vous le télégraphier, peut-être ?

— … le Sanhédrin, très bien.

— Avec un h, hein ! Montrez, voir… Oui, c’est cela. Vous…

… pouah! Mais qu’est-ce qu’il a mangé ?

— … je connais, oui. Ma grand-mère nous emmenait à l’église quand j’étais petit.

… et crois-moi, vieux débile, si le curé de Val-Comeau avait eu ton haleine, jamais j’aurais accepté d’y remettre les pieds…

Le clou délesté de son cadre ne payait pas de mine, c’est vrai. Surtout que la peinture derrière était tout écaillée. Mais de là à accaparer un policier durant pas loin d’une heure… Huis commençait à penser que le vieux se payait sa tête. D’autant plus qu’il n’avait découvert aucun signe d’entrée par effraction, que le curé lui avait carrément avoué la visite récente du directeur de la curie, et qu’un des mandats de ce directeur consistait justement à inspecter le chemin de croix en vue d’une éventuelle restauration. 

Non, cette déposition finirait dans le bac à recyclage, regrettait le sergent en retenant son souffle. 

— Donnez-moi le numéro de téléphone de monsieur Boyer, je vais explorer cette piste-là. Ensuite, pardonnez-moi, mais je vais devoir vous quitter. Noël approche. C’est toujours une période très occupée au poste. C’est pas une grosse ville, Saint-Hyacinthe, mais chaque année c’est la même histoire, on dirait que les fous se synchronisent tous sur le même canal en même temps…

— Pour la millième fois, jeune homme, Boyer a rien à voir là-dedans ! Vous faites semblant de m’écouter, ou quoi ?

L’haleine pestilentielle du vieux Marsolet, son attitude, ses épaisses lunettes en broche qui lui grossissaient les yeux ; Huis en avait assez. Il avait déjà entrepris de traverser la rangée de bancs pour rejoindre le portique lorsqu’il s’est soudain arrêté. 

Une petite tache avait attiré son regard. 

Près du confessionnal : quelqu’un avait tracé une croix sur le plancher.

Une croix avec du sang. 

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